Chronique joyeuse du pilonnage éditorial…
Humour satirique : Au bonheur du livre et des auteurs! Des prix littéraires au papier cul…
Par Alain Mouginet, écrivain, ancien éditeur, demeurant sur le Bassin
Je ne sais pas vous, mais moi j’ai abordé cette rentrée littéraire avec l’énergie d’un hamster dopé aux amphétamines. J’attendais en effet – monument d’évidence – l’appel téléphonique de Didier Decoin m’annonçant cette nouvelle qui ne surprendrait personne : mon livre obtenait le prix Goncourt au premier tour et à l’unanimité des membres !
Bon, manifestement le cénacle germanopratin a, une fois encore, sombré dans le tripatouillage le plus abject, préférant le copinage à la promotion de la véritable littérature. C’est affligeant.
M’ouvrant de cette cuisante défaite à ma chère tante Apolline, espérant de sa part une compassion apte à remonter mon moral chancelant, son commentaire fut sans appel : « Mon pauvre petit ! Tu perds ton temps à écrire des inepties qui n’intéressent personne et ne font rire que toi, et puis, vendre ton bouquin, c’est comme tenter de fourguer un cercueil à deux places ! Laisse tomber ces couillonnades et ponds-nous un vrai roman avec du sexe, du sang et de la sueur ! D’ailleurs, prends exemple sur l’Ex, Giscard, qui malgré ses romans gnan gnan est devenu Immortel… ».
Question consolation, peut mieux faire ! Cela dit ce n’est qu’un prix, restons philosophe car « Si haut que l’on monte, on finit toujours par des cendres » et le déjeuner chez Drouant est finalement très surfait.
Des prix à gogo
Je vais donc m’attacher – avec persévérance – à n’obtenir aucune récompense, d’autant qu’en la matière, nous frôlons l’inflation : en France, six prix littéraires sont décernés chaque jour ! Imaginez donc ce pauvre lecteur, aussi futé soit-il, perdu dans cette inextricable forêt de lauriers.
A côté des « Grands parisiens » une foultitude de prix plus ou moins loufoques coexistent, dont voici quelques exemples :
-« Le prix de l’inaperçu » qui récompense le meilleur roman passé inaperçu dans les médias.
-« Le prix farniente » chargé de mettre en valeur l’oisiveté, dont le règlement précise qu’en l’absence de jury le vote a lieu selon un algorithme établi par Maître Capellomimile.
-« Le prix du rattrapage » voué à honorer un écrivain dont l’éditeur n’a pas les moyens de se payer un placard publicitaire dans les médias « pipeule », ou un dîner de connivence avec renvoi d’ascenseur ou de monte-charges, et donc peu de chance d’obtenir un article.
-Une mention spéciale à cet excellent « Prix Virilo », anti Fémina qui se veut « d’être le seul prix littéraire dont les jurés achètent et lisent les livres. Cet amateurisme est compensé par un vif penchant pour la boisson, conforme aux standards du monde littéraire ». Plusieurs accessits sont proposés : « Prix Trop Virilo, à un livre comportant une giclure excessive de testostérone littéraire. » Ou bien encore « Prix de l’Entregent et de l’Entrejambe, pour les liens capitalistiques de l‘auteur avec le milieu de l’édition ».
Manque un Prix du pilon…
Malgré une recherche assidue, je n’ai pas déniché un « prix du pilon ». Il faut reconnaître que la profession est d’une discrétion monastique sur ce sujet ô combien brûlant.
En effet, les libraires bénéficiant de « l’office* » reçoivent automatiquement des montagnes de livres en provenance des grands éditeurs.
A l’inverse de votre marchand de fruits et légumes contraint de détruire ses invendus en supportant une perte financière, le libraire lui ne prend aucun risque… puisqu’il ne payera que ce qu’il a vendu et retournera le reste à son fournisseur !
Résultat ce commerçant privilégiera les ouvrages qu’il est sûr de placer, le reste attendant sagement dans les cartons le retour chez l’éditeur… Et comme pour ce dernier stocker coûte cher, il est moins coûteux d’envoyer ces invendus au recyclage.
C’est ainsi que notre auteur qui a sué sang et eau pour accoucher de son chef-d’œuvre le verra transformé en pâte à papier destinée à de multiples usages… et notamment en papier toilette…
Ami lecteur, dans la quiétude de votre petit coin, vous ne verrez plus ce petit rouleau de la même manière…
*L’office est un mode d’approvisionnement des librairies en France qui concerne les nouveautés. Il s’agit d’un contrat par lequel le libraire s’engage auprès d’un fournisseur à lui commander un certain volume de livres, l’éditeur s’engageant de son côté, à reprendre les invendus plus de trois mois et moins de douze mois après la parution.
Alain Mouginet
Retrouvez les anciennes chroniques d’Alain Mouginet, ici