Humour satirique : Petit Lexique de la Modernitude (Lettre R)
Esprit satirique hebdo : Les joies du vocabulaire de la Modernitude (cette semaine, Lettre R)
7/09/20
En exclusivité, InfoBassin va vous délivrer toutes les semaines, un cadeau de deux auteurs pour vous rendre le sourire dans cette période tristounette. Des extraits choisis du livre « Petit lexique de la modernitude », un bijou d’humour satirique, révélateur de certains travers de notre société, en phase totale avec l’esprit satirique d’InfoBassin…
Vous pouvez retrouver les épisodes précédents, ici
Relationnel.
– Cour. Adjectif promu, de par la modernitude ambiante, nom commun. Illustration parfaite de l’œdème lexical. En langage administratif et des affaires, « Vous avez un bon relationnel » veut (probablement) dire « Vous avez le sens des relations humaines, du contact ».
L’affaire se corse quand des gens pas forcément très éclairés mentalement, se vantant d’avoir des relations, vous déclarent : « J’ai un excellent relationnel, tu peux me croire ! ». Untel qui avait le bras long se retrouve doté d’un puissant relationnel. Imagine-t-on « J’ai des relations mondaines / J’ai des relations », chanté par Trenet, remplacé par « J’ai un bon relationnel / C’est clair ! » ululé par des glottes post-adolescentes en folie ? Non.
Running.
– Angl., sport. Ne confondez pas le running avec la course à pied de grand-père, ni le jogging de papa : ce dernier se pratiquait dans des habits informes, au milieu des bois, à la périphérie des grandes villes, tandis que la running attitude est une philosophie de la vie, une spiritualité du corps.
Vous rencontrerez les runners aussi bien sur les pentes de l’Everest (à grimper en moins de huit heures, dernier record) que sur les trottoirs de Canary Wharf, le cœur battant de la finance mondiale.
Le runneur et la runneuse se reconnaissent à leurs vêtements colorés et coûteux, taillés dans des matières jusque-là réservées aux cosmonautes.
Les chaussures, hors de prix, se bousillent en moins de six mois : si les vôtres résistent deux ans, c’est que vous pratiquez encore le jogging ou, pire, la course à pied !
Réseaux sociaux.
– Apparu dans son acception la plus connue grâce à Internet, le « service de réseautage social en ligne » (c’est son petit nom) tient autant d’un confessionnal mondial que d’un éventuel cinquième pouvoir, les deux n’étant pas incompatibles. Cités des centaines de fois par jour, tous médias confondus, ces agglomérats d’opinions seraient à prendre en compte, au même titre qu’une dépêche AFP.
Facebook et Twitter en sont les plus emblématiques.
Pour le divertissement, vous avez accès à des milliers de vidéos de chatons, seuls ou jouant avec des molosses (c’est trop mignon), à des symphonies sublimes ou au dernier tube d’un chanteur mort électrocuté (trop triste) ; entre deux pétitions contre la maltraitance des poulets de batterie ou pour la libération d’otages de fous de dieu, votre (bon) cœur balance, vous signerez les deux, ajoutant à ces engagements paraphés ce qui fait le sel des réseaux : le commentaire.
Littérature, poésie (ah ! ces versificateurs obstinés qui vous accueillent chaque jour !), peinture, mais aussi auteurs maudits, écrivains célèbres vous notifiant qu’ils signeront samedi dans la plus grande librairie de France, coups de gueule contre ci, fulminations contre ça, un amical bonjour des amateurs de Vélosolex, sans oublier la jeune personne légèrement vêtue, là, dans votre liste, qui aimerait tant devenir votre amie.
Tout ne vous plaît pas dans cette avalanche de mots et d’images que les spécialistes appellent Big Data*. Mais vous avez une arme, ou plutôt deux armes, qui ne sont pas de destruction massive mais quand même.
Le « Like » (« J’aime », pouce levé), récemment renforcé par des émoticônes* qui vont décroissant dans l’adhésion : « J’adore » (cœur), « Haha », « Wouah », « Triste », « Grrr ». Content, pas content, hilare, scandalisé, vous cliquez : vous avez voté. Ce qui ne mange pas de pain.
Mais n’oubliez pas le grand ordinateur qui vous suit à la trace et qui a noté vos préférences et vos détestations, à des fins d’utilisation commerciale.
Deuxième arme : le commentaire. Alors là, y vont voir ce qu’y vont voir, se dit-on. Vous vous lâchez, ce que vous aviez sur le cœur depuis trop longtemps, vous l’envoyez à la face de vos « amis » (vous en avez plus de cinq cents). On va découvrir votre moi profond, et ça va saigner.
Mais une déception, inhérente aux réseaux sociaux, vous attend au tournant : au mieux, vous engagerez une discussion sympa avec un passionné et vous aurez quelques « Like » ; au pire, c’est le désaccord clair et net, voire la fâcherie, et vous aurez quelques « amis » en moins. Et plein de « Grrr ». Pour quelqu’un qui se rêvait soudain en phare de la pensée…
Cela étant, rien n’est perdu. Sous le titre « Non, un ami Facebook n’est pas un vrai ami », SudOuest.fr (6/1/2017) nous apprend que la Cour de cassation, confirmant les premières conclusions de la cour d’appel de Paris, estime que « le terme d’“ami” employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme ». Ouf !
Résilience.
– Psych., médias. Popularisé par le psychiatre Boris Cyrulnik, ce presque synonyme de résistance (avec une notion de rebond) est employé à toutes les sauces. Emprunté à la physique, le mot désigne à l’origine la capacité d’un matériau « à absorber de l’énergie quand il se déforme sous l’effet d’un choc » (Wikipedia). Quand les marchés* sont résilients, les spéculateurs se frottent les mains. À quand, dans les manuels d’histoire : « À partir de 1940, de nombreux Français entrèrent en Résilience contre l’occupant. » ?
Ressenti.
– Néologisme à succès pour « impression », « sensation ». « Il fera huit degrés à Toulouse, mais, notamment à cause du vent, le ressenti sera proche de zéro ! »…. « La clinique met à disposition des patients les services d’une psychologue qui sera à l’écoute de vos besoins et de votre ressenti »… « Ce que je peux vous dire : lorsque vous lirez un ouvrage parlant des ovnis, faites-le avec votre ressenti intérieur ». Où l’on voit que, intérieur ou extérieur, le ressenti, c’est bien pratique.
A suivre…
NDLR : Les mots en gras avec une étoile sont tous développés dans le livre
Vous trouverez d’autres définitions, en intégralité, dans le Petit lexique de la modernitude, de Jean-Marie Audignon et Pierre Laurendeau, Dessins / Signalétique de Michel Guérard. Ginkgo Editeur, collection L’ange du bizarre. 183 pages. 9€. 13cm X 19cm. A commander en librairie, ou sur internet ici ou là
-Jean-Marie Audignon habite à Gujan-Mestras. Il a exercé bien des métiers, dont celui de correcteur à Sud Ouest, et de collaborateur du très regretté Pierre Desproges. Il fut aussi fournisseur de sketches pour la série « Merci Bernard » de Jean-Michel Ribes.
–Pierre Laurendeau est un spécialiste de la langue française, il a écrit deux ouvrages sur le sujet, collaboré au Nouvel Observateur et codirigé un dictionnaire des difficultés. Plusieurs de ses textes ont été adaptés au théâtre.
–Michel Guérard a illustré le livre avec une signalétique toute particulière…
IB
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