Humour : Episode D du Petit Lexique de la Modernitude

Esprit satirique : Les joies du petit vocabulaire de la Modernitude (Episode hebdo : Lettre D)


9/05/20


En exclusivité, InfoBassin va vous délivrer toutes les semaines, un cadeau de deux auteurs pour vous rendre le sourire dans cette période tristounette.  Des extraits choisis du « Petit lexique de la modernitude« , un bijou d’humour satirique, révélateur de certains travers de notre société, en phase totale avec l’esprit satirique d’Infobassin…


modernitude audignon DSM 5Extraits


Développement durable. 

– Éco., mantra. Le développement durable est au xxie siècle ce que l’extinction du paupérisme était au xixe, une lubie d’illusionniste de la pensée. Avec son alter ego, la croissance* – devenue soutenable –, il fait les beaux jours de messes internationales (Kyoto, Rio, Copenhague, Paris, Davos…) aussi dispendieuses qu’inutiles.

Pour certains, la traduction de l’anglais sustainable en « durable » relèverait de l’oxymore pur et simple.

Notons l’utilisation de la formule par un restaurateur spécialisé dans le lapin, dont l’enseigne affiche fièrement : « Le Développement du râble ».


Disruptif.

« Qui cause, ou peut causer, une rupture. » Cet adjectif (ainsi que « disruption » et « disrupter »), bien qu’issu du latin, doit son succès actuel à l’anglais disruptive (« perturbateur »). Quand Xavier Niel, boss de Free, annonce en septembre 2017 l’arrivée d’une nouvelle box, n’assure-t-il pas que cette dernière sera « disruptive » ? Eût-elle été annoncée comme moderne, révolutionnaire, géniale, aucun frisson n’aurait parcouru notre échine de telle façon. Et quand le même (patron du Monde, coactionnaire de l’Obs, notamment) déclare, sur le site univers freebox.com, que « […] la vraie disruption, c’est de savoir ce que l’on connecte, jusqu’où et à quelle vitesse », on est sidéré par tant de pertinence.

Un qui fait dans la disruption à tout va, c’est Emmanuel Macron, notre nouveau Résident de la République. « Le programme d’Emmanuel Macron est disruptif », écrit, en juin 2017, un député LREM sur le site des Échos. Et il a bien raison. Mais une chose nous frappe particulièrement, à propos de Macron : la déontologie lexicale. Il est clair qu’il a gravement disrupté la bienséance présidentielle en matière de vocabulaire.


Le 17 septembre 2014 (il était alors ministre de l’Économie), à propos des abattoirs Gad, en liquidation judiciaire, il souligne : « Il y a dans cette société une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées. » (Outre la beauté formelle de la phrase, on peut imaginer que les malheureuses et les malheureux qui ne savent ni lire ni écrire n’ont peut-être pas très envie que cela se sache dans le monde entier.)

Le 27  mai 2016 (toujours à l’Économie), à deux grévistes : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler. »

Le 29 juin 2017, à Paris, devant un aréopage de patrons, notre désormais Résident de la République a eu cette phrase : « Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. »

Le 9 septembre 2017, à Athènes, à quelques jours de la première manifestation en France contre sa loi Travail, notre Jupiter moderne assène : « Je serai d’une détermination absolue et je ne céderai rien. Ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes. »

Autant de preuves que, de la maladresse au mépris encostumé, en passant par la mégalomanie, une désagréable disruption lexicale s’est installée à l’Élysée. (Voir : Casser les codes.)


Doux (prix tout).

– Prix élevé pour le commun, mais comme l’objet est culte* ou vintage*, et que la rédaction de l’hebdo féminin qui vous le conseille est emballée, vous allez faire un effort, non ?


Dress Code.

– Angl., mode. Tenue, règle vestimentaire. Où l’on voit que les questions/injonctions de la mode (« Que porter cet hiver à Avoriaz ? Quelles ballerines enfiler pour la projection privée du dernier Dolan ? ») sont tout aussi contraignantes que les règles vestimentaires d’une corporation (Légion étrangère, Lions Club…).

Il est par ailleurs recommandé de ne pas confondre le dress code des soirées BDSM branchées avec celui de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Quant à l’angoissante question posée (septembre 2016) par Les Inrockuptibles (« La fin des dress codes ? »), les chômeurs et les sans-abri, qui n’ont pas de réponse claire, d’inquiétude se rongent les ongles.


DSM 5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux).

– Psych. Inconnue du grand public, la cinquième édition de la bible des psychiatres mériterait le Goncourt et le Nobel, sans oublier le Pulitzer et le Booker Prize. Fruit de la conception anglo-saxonne de la santé mentale (tout le monde est zinzin ; ce qui est important, c’est de ranger le patient dans la bonne case).
Le DSM 5 pilote le médicastre dans les cas douteux : ce jeune garçon est agité ? il est victime du trouble du déficit de l’attention ; ce zadiste* refuse le modèle social ? le pauvre est atteint d’un trouble de la personnalité antisociale.

À glisser négligemment dans un dîner mondain : « Avez-vous lu la dernière édition du DSM ? »



A suivre…


audignon modernitudeVous trouverez d’autre définitions, en intégralité, dans le Petit lexique de la modernitude, de Jean-Marie Audignon et Pierre Laurendeau, Dessins / Signalétique de Michel Guérard. Ginkgo Editeur, collection L’ange du bizarre. 183 pages. 9€. 13cm X 19cm . A commander en librairie, ou sur internet ici ou


-Jean-Marie Audignon habite à Gujan-Mestras. Il a exercé bien des métiers, dont celui de correcteur à Sud Ouest, et de collaborateur du très regretté Pierre Desproges. Il fut aussi fournisseur de sketches pour la série « Merci Bernard » de Jean-Michel Ribes.


Pierre Laurendeau est un spécialiste de la langue française, il a écrit deux ouvrages sur le sujet, collaboré au Nouvel Observateur et codirigé un dictionnaire des difficultés. Plusieurs de ses textes ont été adaptés au théâtre.


Michel Guérard a illustré le livre avec une signalétique toute particulière…


IB


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