Humour : Episode B du Petit Lexique de la Modernitude
Esprit satirique : Les joies du petit vocabulaire de la Modernitude (Episode hebdo : Lettre B)
27/04/20
En exclusivité, InfoBassin va vous délivrer toutes les semaines, un cadeau de deux auteurs pour vous rendre le sourire dans cette période tristounette. Des extraits choisis du « Petit lexique de la modernitude« , un bijou d’humour satirique, révélateur de certains travers de notre société, en phase totale avec l’esprit satirique d’Infobassin…
Ballet.
Danse, médias. S’emploie lors d’interventions télévisuelles in situ (« Le ballet des voitures diplomatiques »). A connu un essor fulgurant avec les chaînes tout-info, amatrices de chorégraphie, lors d’accidents graves, de catastrophes routières, aériennes, nucléaires, etc.. « Comme vous le voyez derrière moi, Jean-Paul, et comme je vous le disais il y a cinq minutes, le ballet des hélicoptères et des ambulances se poursuit. Une cellule psychologique a été envoyée par la préfecture, nous l’attendons d’un moment à l’autre. »
L’horreur passée, viendra le temps pour chaque survivant, chaque témoin, chaque voisin, chaque téléspectateur, de faire son deuil*.
Bankable.
Angl., médias. Surtout utilisé au cinéma (un film bankable, un acteur bankable), cet anglicisme souligne le glissement du septième art vers l’industrie de loisirs, où la rentabilité devient le souci numéro un de producteurs milliardaires. La recette du bankable ne fonctionne pas toujours : certains blockbusters* financés à coups de millions connaissent une fin prématurée quand des films à petit budget (Demain, de Mélanie Laurent et Cyril Dion ; Merci patron ! de François Ruffin) cartonnent grâce au bouche-à-oreille.
Par extension, on utilise parfois « bankable » pour désigner tout projet à la profitabilité assurée (jusqu’à ce que la réalité démontre parfois le contraire). « Le Made In France est-il toujours “bankable” ? » s’interroge avec angoisse le site LSA, le 6/11/2015.
Base (à la).
Cour., angl. Locution adverbiale inspirée de basically : « initialement ». En français usuel : « d’abord », « au début ». Expression suremployée, annonciatrice d’une conversation douloureuse pour vous et pour la langue française. Si vous vivez non loin d’une base militaire, la phrase « À la base, il a étudié le piano » peut s’entendre de deux façons, la seconde promouvant la Grande Muette au rang de pépinière de talents musicaux.
Be (the place to).
Angl. Littéralement : « l’endroit où il faut être ». Dans sa version snob et détestable, signale un accès réservé : boîtes chic, magasins branchés, égouts de Paris et d’ailleurs. Des salons de beauté, des bars et nombre de spots* où le prétentieux le dispute au conformisme le plus plat arborent d’ailleurs cette locution comme raison sociale. « The place to be ? À la trappe ! » aurait dit Père Ubu.
Bike.
Angl., sports. A remplacé le vélo (apocope de « vélocipède ») et la bicyclette. Les amateurs de sensations fortes font du bike autour du lac de Vincennes ou sur les bords de Loire. Les pédaleurs de l’outdoor* pratiqueront le freeride (nouveau nom pour vélo tout terrain, VTT), les plus téméraires se lançant sur les sentiers de montagne, au risque de se briser les cervicales. Nota : un bike se vend au moins trois fois plus cher qu’un simple vélo. « Quoi de neuf du côté des VTT à l’Eurobike ? Big Bike vous a trouvé toutes les nouveautés vélos pour 2017. » (Bigbike-magazine.com.)
Bipolaire.
Néol., psych. Le maniaco-dépressif du siècle dernier était un pauvre type, qui suscitait au mieux un brin de commisération de ses proches, tout en exaspérant ses relations de travail. Devenu bipolaire, collègues, amis et famille lui trouvent désormais des circonstances atténuantes, voire une authenticité avérée : « Tu sais, Marcel, c’est un bipolaire ! – Oui, mais quelle créativité ! »
Bisou bisou. – Voir : Neu-neu régressif.
Blockbuster.
Angl., ciné. À l’origine, « blockbuster » était le nom d’une bombe dévastatrice larguée par les Américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Au cinéma, le mot caractérise désormais de coûteuses superproductions aux acteurs bankables* où, effectivement, une explosion doit se produire au minimum toutes les dix secondes. On en sort les tympans en vrille et on fonce chez l’ophtalmo le plus proche pour un contrôle de vue. On n’emploiera pas « blockbuster » pour un petit film familial tourné le jour anniversaire de Samantha : Samantha explose le pot de confitures (25 vues sur YouTube).
Bobo
Double apocope pour « bourgeois bohème ». On ne confondra pas la bobo sapée The Kooples avec la bourgeoise traditionaliste en jupe plissée et cardigan vert pâle. Le bobo réside dans les quartiers populaires, dont il expulse rapidement les habitants légitimes en faisant grimper les prix de l’immobilier : phénomène appelé « boboïsation ». Le bobo est un CSP+* (catégorie socio-professionnelle supérieure) diplômé, éduqué, cultivé ; il achète des livres, se déplace en modes doux : vélo, transports en commun, covoiturage ; il mange bio, se soucie de l’avenir de la planète et milite contre la mondialisation en versant à une ONG éthique des contributions déductibles de l’impôt sur le revenu. Le bobo est très déçu de la gauche mais il continuera à voter pour elle, c’est un tropisme.
Bonheur ! (que du).
Insupportable scie qui puise probablement son succès dans les difficultés d’une époque où tout va plutôt mal. Employée hiver comme été, devant un infâme steak haché industriel ou une sublime côte d’angus, en sirotant un grand médoc ou un pinard coulant d’une bouteille plastique, cette locution funeste, usant le mot « bonheur » jusqu’à la corde, nous fout sérieusement le bourdon.
Bravitude.
Barb. Nom commun créé de toutes pièces sur la muraille de Chine par une enthousiaste candidate à l’élection présidentielle française de 2007 (« Qui va sur la Grande Muraille conquiert la bravitude »). L’inoxydable Jack Lang, qui pourtant ne souffrait d’aucun décalage horaire, vit dans ce barbarisme signé Ségolène Royal « la plénitude d’un sentiment de bravoure ». Le succès fut tel et si foudroyant le buzz* que « bravoure » est aujourd’hui presque oublié.
Burn out.
Angl., éco. Qui n’a pas disjoncté au boulot ? engueulé un sous-fifre hors de propos ? rayé le 4×4 flambant neuf du patron en découvrant sa vieille Clio avec un pneu crevé ? Aujourd’hui, on ne pète plus un plomb, on burn out. Pour certains, le court-circuit est définitif : on les retrouve devant l’ordi, les cheveux dressés, les yeux hors des orbites, le doigt crispé sur la mouse, fin prêts à être buried in. « Tennis: “Je suis peut-être harassé”, explique un Djokovic au bord du burn out. » (20minutes.fr.)
Buzz.
Angl. « Bruit », « ramdam », « rumeur », etc. « La création du buzz est la cinquième dimension du succès. » (James Dyson, inventeur de l’aspirateur sans sac, mais qui n’a pas encore créé le sac sans aspirateur.) L’origine du mot « buzz » est controversée. Nous vous livrons ici la seule version avérée.
Le 16 juillet 1969, Buzz Aldrin pilote le module lunaire Apollo 11, en compagnie de Neil Armstrong et de Michael Collins. Le 21 juillet, il est le deuxième homme à fouler le sol lunaire. Après deux heures de marche en apesanteur, Aldrin a la sensation de poser le pied sur quelque chose de mou : il en fait part à ses camarades. Peu après, il croit apercevoir des Extraterrestres : il en fait part à ses camarades. Il est alors persuadé d’avoir marché sur un étron venu d’ailleurs : il en fait part à ses camarades. Il passera le restant de la mission Apollo 11 à répéter : « Bon sang ! Des Extraterrestres ont chié sur la Lune avant nous, et j’ai marché dedans ! »
Ses compagnons de mission lui serinent « Arrête de faire le con, Buzz », « Cesse de faire ton intéressant, Buzz », « Tes histoires, Buzz, on n’en peut plus ! ». L’anecdote fit le tour des milieux scientifiques et militaires américains, puis se propagea bien au-delà. Nous étions en 1969, vingt ans plus tard Internet en ferait son miel. C’est ainsi que, par un léger glissement sémantique, « faire son Buzz Aldrin, son intéressant en répétant moult fariboles » est devenu « faire le buzz ».
Bye bye (Prononcer « babâille »). Voir : Neu-neu régressif.
A suivre…
Vous trouverez d’autre définitions, en intégralité, dans le Petit lexique de la modernitude, de Jean-Marie Audignon et Pierre Laurendeau, Dessins / Signalétique de Michel Guérard. Ginkgo Editeur, collection L’ange du bizarre. 183 pages. 9€. 13cm X 19cm . A commander en librairie, ou sur internet ici ou là
-Jean-Marie Audignon habite à Gujan-Mestras. Il a exercé bien des métiers, dont celui de correcteur à Sud Ouest, et de collaborateur du très regretté Pierre Desproges. Il fut aussi fournisseur de sketches pour la série « Merci Bernard » de Jean-Michel Ribes.
–Pierre Laurendeau est un spécialiste de la langue française, il a écrit deux ouvrages sur le sujet, collaboré au Nouvel Observateur et codirigé un dictionnaire des difficultés. Plusieurs de ses textes ont été adaptés au théâtre.
–Michel Guérard a illustré le livre avec une signalétique toute particulière…
IB