Humour : Les Nouvelles Lettres Persanes de Charles Daney (Ep 1)
Voici le regard perçant d’un Persan, sur les gens de notre région, façon Montesquieu…
Charles Daney, auteur prolifique, Professeur agrégé retraité, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Bassin d’Arcachon, a pris sa plume pour écrire dans InfoBassin, les Nouvelles Lettres Persanes, d’après Montesquieu. Ce philosophe Bordelais, seigneur de La Brède, grand voyageur européen, fut un agitateur d’idées qui participa grandement à ouvrir les esprits de son siècle, et à remettre en cause l’ordre établi.
Pour celles et ceux qui n’ont pas eu le bonheur de lire (ou qui ont oublié) Les Lettres Persanes, ce chef d’oeuvre d’humour satirique publiée en 1721 raconte le voyage à Paris de deux Persans, Usbek et Rica, qui, pendant 8 ans, observent la société et le mode de vie des Français, leurs traditions religieuses ou politiques… Un reportage avant la création de la Presse !
Dans cette rubrique à épisodes, Charles Daney va s’attaquer à Bordeaux et la librairie, pardon, au souk Mollah, puis décrire les coutumes du Cap ferret, et d’autres coins du Bassin.
A savourer lentement…
Michel Lenoir, Directeur de Publication
Les Nouvelles Lettres Persanes (par Charles Daney) : Episode 1
Me rendant à Bordeaux dont on m’a dit que c’est une ville en l’air…
D’Usbek à Rica
Me rendant à Bordeaux dont on m’a dit que c’est une ville en l’air, j’ai rencontré un fleuve presque aussi large que le Bosphore. Sa courbe est le croissant de la nouvelle lune. Des navires couverts d’autant de voiles qu’un harem de chez nous y apportaient des épices dont on prétend qu’elles sont plus parfumées que les nôtres, ce que j’ai peine à croire. D’autant plus que ces épices ont disparu des quais quand la dernière voile a quitté le fleuve. Les Bordelais en sont traumatisés. Ils craignent que la rivière s’en aille à son tour.
Ils n’en finissent pas de l’amarrer aux deux rives par quantités de ponts. Ils en sont si contents qu’ils passent leurs journées à aller de l’une à l’autre rive et revenir, tant et si bien que ces ponts sont de jour en jour insuffisants et qu’ils parlent toujours d’en faire de nouveaux.
Pour rentrer dans la ville, j’ai voulu passer par une de ces portes dont ils sont si fiers bien qu’elles soient toujours ouvertes depuis qu’ils en ont perdu les clés. Curieusement, ils ne passent jamais par la porte mais dans les brèches qu’ils ont ouvertes à leurs côtés.
J’ai aperçu deux tours semblables à nos minarets. Elles sont isolées au milieu de places pour qu’on vienne plus nombreux à l’appel des cloches qui ont depuis longtemps remplacé leurs muezzins.
Les Bordelais adorent le vin dont ils ont fait leur dieu. Ils y sacrifient à longueur de journée dans leurs chais. Ils prennent soin d’effacer le sang du sacrifice en utilisant une gueille de bonde, mais ils n’arrivent pas à en effacer l’odeur.
Ils ont construit une tour aussi tordue qu’un vieux cep de vigne qu’ils disent être la cathédrale du vin. Je t’en enverrai une photo que tu feras circuler pour faire comprendre à nos amis pourquoi le grand Alcoran nous interdit d’en boire.
Près du fleuve, il y a une grande place avec près de l’eau deux colonnes de type romain pour faire croire qu’ils sont issus des grecs et des romains qu’ils étudient dans leurs écoles – surtout privées – et une grande à l’autre bout qu’ils ont élevée pour ceux qu’on a raccourcis à l’époque où l’on coupait les têtes comme chez nous, mais plus vite avec une machine.
Il y a des statues partout, jusque sur les toits d’un palais qu’ils appellent le grand théâtre.
Leurs souks sont à étages. Leurs femmes y sont nombreuses et toujours pressées. Je me demande bien pourquoi. On ne peut même pas marchander.
Il y a des machines qu’ils appellent des tapis roulants pour monter de souk en souk. Ce ne sont que de pales imitations de nos tapis volants. Je préférerai toujours nos souks aux leurs : on y discute, ils sont conviviaux et j’aime l’ombre, le désordre et l’odeur des épices.
Demain j’irai dans le grand souk aux livres qu’on appelle ici le souk Mollah. Je voudrais acheter le volume de lettres que mon arrière-arrière-arrière grand père qui s’appelait comme moi a fait publier de son voyage en Europe et que je n’ai pas pu trouver chez nous.
Charles Daney vient d’écrire « Le Lexique amoureux du bassin d’Arcachon », avec Marie-Christiane Courtioux-Icre, et Denis Blanchard-Dignac. Nous en publierons une critique prochainement dans nos colonnes…
Voir la page FB de Charles Daney, ici
Illustrations : Copies écran Homme en costume persan d’Eugène Delacroix et photo sur le site Cité du Vin.
C’est gratuit