Humour : Episode E du Petit Lexique de la Modernitude
Esprit satirique : Les joies du petit vocabulaire de la Modernitude (Episode hebdo : Lettre E)
9/05/20
En exclusivité, InfoBassin va vous délivrer toutes les semaines, un cadeau de deux auteurs pour vous rendre le sourire dans cette période tristounette. Des extraits choisis du « Petit lexique de la modernitude« , un bijou d’humour satirique, révélateur de certains travers de notre société, en phase totale avec l’esprit satirique d’Infobassin…
Échanger.
– Néol. Verbe anciennement transitif (« On a échangé des cadeaux à Noël », « J’ai échangé un smartphone pourri contre un poster de Justin Bieber ! »). Sens actuel : « causer », « parler », « discuter ». La modernitude ambiante veut que ce verbe se suffise à lui-même, sans complément d’objet. « Il les rencontre pour les entendre, pour échanger », « Nous avons échangé sur ce que pourrait bien signifier “trier nos désirs” ».
Se pose la question des clubs échangistes : s’y rend-on pour échanger quelqu’un (complément d’objet direct) contre quelqu’une (ou l’inverse) ou bien pour échanger intransitivement ? « Chez Mounette, une boîte coquine du dix-huitième, ma femme et moi on a beaucoup échangé. »
Égérie.
– De nymphe dans la mythologie romaine Égérie devint muse, inspiratrice. Au fil des siècles, elle est passée des arts et de la politique à la publicité pour des produits de marque. « Lady Gaga représentera la marque, dont elle sera l’égérie de la collection printemps-été 2014. » (Metronews.) Ne pas s’exclamer « C’est une publicité vivante ! », dire plutôt « C’est une ambassadrice ».
Éléments de langage (EDL).
– « Bourrer le mou », « Enfumer », « Entuber » : ces expressions populaires qui frôlent la vulgarité, synonymes de « tromper consciemment son auditoire », ne résistent pas aux « éléments de langage » développés par des communicants rusés au profit de gens malveillants mais éduqués – politiciens, patrons du CAC40, fraudeurs fiscaux… Désormais, un conflit social ou une perte de confiance dans un président souriant résultent d’un manque d’éléments de langage dans la communication. « Dubois, voilà trente ans que vous collaborez à notre entreprise ; il serait temps que vous pensiez à votre développement personnel dans le cadre d’une activité choisie. C’est pourquoi ce licenciement sera pour vous une opportunité* de rebondir. »
En.
– Petit adverbe promu par Albion au rang de sésame lexical. Peut atteindre la boursouflure, voire l’œdème langagier.
– Être en capacité de (anglicisme pompeux) : « pouvoir », « être capable de ». « Il faut financer l’accueil des réfugiés et nous sommes en capacité de le faire. » (Michel Sapin, octobre 2015.) Infra texte : « Nous, ministre, même s’il y a peu de chances que cet engagement soit tenu, savons jouer du flûtiau. »
– Être en charge de (anglicisme pompant) : « être chargé », « être responsable de ». « Je suis en charge du journal de A à Z. » (Une lycéenne, directrice de la publication L’Inébranlable.)
– Être en empathie (bouffissure lexicale) : « pouvoir se mettre à la place de quelqu’un », « s’identifier à lui », « se rapprocher de ». « À Paris, Phil Hogan en empathie avec les agriculteurs français. » (L’Express-L’Expansion, 25/2/2016.)
– Être en risque de : « risquer », « prendre le risque de ». « Quand je vois son ardeur au travail, je me dis que nous ne sommes pas en risque de nous surestimer. » (Hervé Gaymard, député UDF, à propos d’Alain Juppé, 2014.)
– Entrer en dialogue avec : « dialoguer avec », « parler à ». « Nous ne savons pas entrer en dialogue avec le peuple français. » (Un député PS au JDD, le 4/12/2014.)
Divers. Croisé, sur une route de Bretagne, un panneau routier « En traversée de Hennebont ». À quelques kilomètres de là : « En traverse de l’agglomération. » Lu le sixième verset du « Notre Père » dans sa nouvelle traduction, entrée en vigueur le 3 décembre 2017 : « Ne nous laisse pas entrer en tentation. » (Site La Croix Urbi et Orbi, 3/3/2017.)
En Avignon.
– Cult. Provençalisme passé dans l’usage des bobos* pour signifier, entre le velouté d’asperges aux morilles de saison et le dos de cabillaud en croûte de sel accompagné de ses petits légumes bio, que l’on a fait* le festival cette année, malgré la chaleur et le public toujours trop nombreux. « Et le Off, de plus en plus In. » À rapprocher du « à Le Mans » de la voix de synthèse annonçant aux passagers du TGV Paris-Nantes qu’il y aura un arrêt dans la capitale des rillettes.
Énorme.
– Sport, médias. Plus gros* que gros, donc plus beau que beau. Soit : superbe, extraordinaire, exceptionnel, magnifique… « Bravo à elle, elle nous a fait une interprétation, mais alors, énorme ! » (Un animateur à propos d’une candidate de télé-crochet.) L’adjectif sert beaucoup aussi dans le sport, où il facilite grandement le travail du commentateur, celui de l’entraîneur, ainsi que celui du joueur, qui s’y collent à la fin du match ou de la course. « Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, Warren Barguil, vous avez été énorme aujourd’hui. » (sic) (Un commentateur du Tour de France, sur France 2, le 9 juillet 2017.) « On a été énormes, aujourd’hui ; je tiens à féliciter mes joueurs, ils ont su se vider les couilles. » (Michel Pavon, entraîneur de foot, sur Canal Plus, en avril 2005.) « On a fait un gros match, un match énorme. » (Joueur dans l’équipe de Michel Pavon.) « Une énorme prestation au Parc aujourd’hui pour les hommes de Pavon. » (Commentateur.)
Ne modifie en rien, on le voit, l’élégance du parler-ballon.
Espace.
– Sens abusif. On ne compte plus les « espaces » (espace jeux, fumeurs, garderie, bébé, espace snack, détente, espace pouf de relaxation…). Et le mot se conjugue à l’infini depuis l’apparition de l’Internet : « e-space ».
Dans une pharmacie, un cagibi, au fond à gauche, où se tiennent deux fauteuils roulants, un stock de bas de contention, des semelles encore emballées, des chaussures orthopédiques. Sur la porte vitrée, entrouverte : « Espace confidentialité. »
A suivre…
Vous trouverez d’autre définitions, en intégralité, dans le Petit lexique de la modernitude, de Jean-Marie Audignon et Pierre Laurendeau, Dessins / Signalétique de Michel Guérard. Ginkgo Editeur, collection L’ange du bizarre. 183 pages. 9€. 13cm X 19cm . A commander en librairie, ou sur internet ici ou là
-Jean-Marie Audignon habite à Gujan-Mestras. Il a exercé bien des métiers, dont celui de correcteur à Sud Ouest, et de collaborateur du très regretté Pierre Desproges. Il fut aussi fournisseur de sketches pour la série « Merci Bernard » de Jean-Michel Ribes.
–Pierre Laurendeau est un spécialiste de la langue française, il a écrit deux ouvrages sur le sujet, collaboré au Nouvel Observateur et codirigé un dictionnaire des difficultés. Plusieurs de ses textes ont été adaptés au théâtre.
–Michel Guérard a illustré le livre avec une signalétique toute particulière…
IB
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