Histoire : L’execution de François de Belcier, Seigneur d’Arès (1/2)
L’histoire funeste de Belcier, noble raccourci !
1ère partie, par Jean Dumas, de la SHAAPB
Le Bassin a son histoire. Et les membres de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch (SHAAPB) la content fort bien. Ils éditent une revue régulière à laquelle vous pouvez vous abonner. C’est passionnant, et nous leur ouvrons nos colonnes…
Michel Lenoir, Directeur de Publication
L’histoire de l’exécution capitale du Seigneur d’Arès
Préambule…
François de Belcier de Crain (Baron, 1731- Bordeaux, 1794), entré très tôt au service du roi, suit la voie tracée par son grand-père, Jean-Baptiste de Laville, le « baron d’Arès ». Marié avec Marie Anne Angélique d’Abzac en 1758, père de quatre enfants, dont une fille morte à la naissance, veuf depuis 1766, il est le dernier baron d’Arès ; par testament, dès 1866, il lègue une partie de sa fortune à ses enfants Léonard et Françoise et désigne l’ainé de ses fils Louis, comme héritier.
Au moment de la Terreur (septembre 1793-juillet 1794), c’est un vieil homme affaibli par la maladie, qui malgré ses certificats de civisme, devient suspect en janvier 1794, accusé d’avoir laissé émigrer ses deux fils et d’avoir dissimulé des biens. Il est alors emprisonné à la prison du Palais Brutus, anciennement Palais de l’Ombrière à Bordeaux.
Durant les enquêtes sont recueillis de nombreux témoignages favorables. Les infirmités de Belcier s’aggravent. Le 22 juin 1794, c’est le procès qui passionne toute la commune d’Arès. Un procès rapide, sans aucun débat, sans jury, sans témoins, sans réquisitoire ni plaidoirie, présidé par Lacombe.
François de Belcier est condamné à mort et guillotiné le même jour Place Nationale (actuellement, Place Gambetta) à Bordeaux.
Voici l’histoire de la fin de sa vie, retracée par Jean-Dumas (BSHAA, n° 6, 1975)
(4 messidor an II -22 juin 1794)
Un civisme sans défaut
François de Belcier n’était plus qu’un vieil homme de 62 ans, perclus, dévoré de goutte et d’ulcères, affligé d’une hernie énorme qui l’empêchait à peu près de marcher.
Ci-devant seigneur d’Arès, mais encore de Baron-Crain, Gensac, Cursan, Salles-de-Castillon et autres lieux, il était immensément riche. Ses terres s’étendaient sur des milliers de journaux, aussi bien dans les riches vignobles d’Entre-deux-Mers que dans les landes d’Andernos et sur Carsac et Villefranche en Périgord.
Quand ses deux fils, le vicomte Louis-François et le chevalier Léon-Annet avaient émigré à la suite du comte d’Artois, il avait affermé Arès à un sieur Duprada, bourgeois de Bordeaux, et toutes ses vignes et châteaux à ses « agents d’affaires », les citoyens régisseurs Lafargue, Pradeau et Fourreau dit I’ « Éveillé ».
Il s’était retiré dans une belle maison de Bordeaux, au n° 8 de la place Rohan rebaptisée depuis peu « Guillaume Tell », où les meilleurs officiers de santé soignaient ses maladies.
De nombreux certificats en faisaient foi, le dernier en date du 9 brumaire an II (30 octobre 1793) du citoyen Doumeing qui certifiait que « le citoyen Belcier a eu une maladie maligne très grave pour le traitement de laquelle les médecins Lamothe et Drubruct et moi convînmes d’appliquer des vésicatoires… Je l’ai vu vers la fin de janvier attaqué d’une maladie apoplectique… En février, je l’ai soigné d’un ulcère qui fit craindre à Lamothe et à moi la gangrène…”
François de Belcier, vieilli par ses maux, montrait beaucoup de civisme. La Section Guillaume Tell du Comité révolutionnaire de Bordeaux venait de lui délivrer le meilleur des certificats “… le citoyen Belcier a passé au scrutin épuratoire et il a été reconnu pour vrai sans-culotte et bon républicain le 6 frimaire an II… (26 novembre 1793)”.
De son côté, le capitaine Cazenave, commandant la 3e compagnie du 6e bataillon de la Garde nationale, légion du Centre certifiait que « le citoyen Belcier, infirme, est venu se faire enregistrer depuis longtemps sur le rôle de la compagnie des vétérans »…
Voilà donc un vieillard inscrit à la Garde et l’aidant sans aucun doute de ses deniers. Un bon contribuable aussi qui pouvait produire tous les reçus des percepteurs dans les communes de ses propriétés…
Plus de deux ans venaient de s’écouler sans autre souci que celui d’une santé bien compromise. Que risquait-il ? N’avait-il pas donné autour de ses châteaux les preuves les plus évidentes de son dévouement à la République ? N’avait-il pas remis aux maires toutes ses chartes féodales pour qu’on les brûlât sur la place publique ?
N’avait-il pas réservé aux municipalités tout son blé au prix du maximum ? N’avait-il pas été élu notable à Salles-de-Castillon ? Autant de preuves d’un civisme sans défaut.
Des dénonciations…
C’était compter sans la Terreur et les comités révolutionnaires à l’affût des suspects parmi lesquels, au tout premier rang, les pères d’émigrés. Une première dénonciation avait lieu en Périgord, à Villefranche, district de Montpon.
Sans apporter aucune preuve, on accusait le « ci-devant Belcier » “… d’avoir fait enfouir beaucoup d’argenterie et autres objets précieux au détriment du séquestre de ses biens…”
Le comité de Castillon était invité à perquisitionner dans les métairies du dit Belcier pour vérifier “… s’il n’y avait pas été commis d’autres détournements…”
Après de vaines recherches, il informait le comité révolutionnaire de Bordeaux “… qu’il n’avait trouvé que des effets de peu de conséquence, mais qu’un batelier avait déclaré avoir porté, voici peu, 29 tonneaux de vin et les avait débarqués quai de la Porte-Salinière à Bordeaux et remis à un domestique du dit Belcier…”
Rien de répréhensible après enquête : il était établi, le 24 nivôse an II (13 janvier 1794) que le vin était destiné aux armées et vendu au prix du maximum.
Mais le 26, c’était le comité de Libourne qui prenait le relais “… il existe un homme plus que suspect, c’est Belcier, ci-devant seigneur, dont les deux enfants sont émigrés. On nous a rapporté qu’il réside à Bordeaux … il nous a été dit qu’on avait trouvé chez lui beaucoup d’argenterie enfouie…”
Voilà toutes les preuves : “on nous a rapporté…”, “il nous a été dit…”.
Le comité de Bordeaux réputé impitoyable les jugeait insignifiantes contre un homme muni de son propre certificat de civisme. C’était alors le commissaire Sutton, président du comité d’Andernos, qui, le 12 pluviôse (31 janvier), intervenait brutalement:
“… Belcier, ci-devant seigneur d’Arès, père de deux émigrés, doit être arrêté conformément à la loi…”, « la loi des suspects ». Libourne revenait à la charge le 17 ventôse (7 mars 1794) “… Braves républicains du Bec d’Ambez, il est de l’intérêt public que les ennemis de la patrie soient arrêtés et punis. Les agents de Belcier sont en arrestation ici, tandis que Belcier lui-même se promène dans Bordeaux… Hâtez-vous donc de le faire arrêter ! Salut et fraternité.”
Confiscation des biens et interrogatoire…
Le moment était propice : les décrets de ventôse prononçaient la confiscation des biens des suspects qui seraient distribués aux patriotes indigents. Le 20 ventôse (10 mars), le vieil homme perclus était traîné à la prison du palais Brutus, anciennement de l’Ombrière.
Il y subissait un premier interrogatoire le 24 par devant le citoyen Coste jeune, président la commission des trois juges d’instruction du tribunal révolutionnaire de Bordeaux.
Les questions se succédaient, précises, difficiles, insidieuses. Le prévenu qu’on avait dû faire asseoir répondait calmement. Il déclinait son état civil. Il avait deux fils qu’il n’avait pas vus depuis longtemps et dont il ignorait la résidence. Comment aurait-il pu les empêcher de partir ? Et correspondre avec eux ?
Bien sûr, il connaissait ses intendants, mais ils n’étaient pas venus à Bordeaux depuis des mois et lui ne pouvait se déplacer.
Si la populace avait pillé ses châteaux, comment pouvait-on le rendre responsable des vols commis en son absence ?
Il avait remis dans les délais prescrits tous ses titres féodaux. Il avait sa carte de civisme après certificat épuratoire… et lecture faite de l’interrogatoire, il l’avait dit contenir vérité et l’avait signé au bas de chaque page et à la fin.
A suivre … La semaine prochaine
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