Edito : Epandage, les dessous d’une affaire en or… vert !
L’Oeil au Beurre de Lenoir…
Epandage en forêt autour du Bassin : Les dessous d’une affaire en or… vert !
6/04/19
La préfecture vient de signer une décision autorisant l’épandage de digestats (résidus de méthanisation) pour « une partie des 8950 tonnes/an sur 7053 ha … /…dans les communes de Lanton, Le Teich, Salles, Saint Jean D’illac… » et d’autres villes.
(Voir la décision motivée et signée par le Sous-Préfet, ici)
Quand les maires deviennent écolos…
Le maire du Teich, François Deluga, également Président de Parc Naturel Marin du Bassin d’Arcachon, n’a pas apprécié de ne pas avoir été consulté sur le projet, et il est rentré dans une grosse colère.
Sur Sud Ouest du 5/04, il explique : « Il est inconcevable de réaliser une telle opération avec un risque pour la qualité de l’eau dans un secteur maillé par les fossés et ruisseaux en limite du Bassin d’Arcachon et en zone Natura 2000 ».
Dans sa commune, 3000 ha sont concernés entre l’autoroute et l’allée de Malakoff.
Et F. Deluga précise qu’il existe d’autres impacts négatifs : « l’accumulation possible d’éléments métalliques dans le sol; le transfert vers les eaux souterraines de certains éléments chimiques (azotes et métal); le ruissellement des matières à épandre en dehors des parcelles lors de l’épandage; les odeurs et enfin la prise en compte nécessaire d’un danger sanitaire chimique et bactériologique« .
La maire de Gujan-Mestras, réveillée par le coup de klaxon de son voisin, et se disant également non informée de la manœuvre, s’est jointe au concert des protestations, refusant qu’on pollue son protectorat.
Pourquoi un épandage, et pourquoi maintenant ?
On vous résume un peu le schéma :
Engie (Ex GDF-Suez) produit du biogaz par méthanisation. Et ça rapporte beaucoup d’argent.
Mais il faut bien se débarrasser des résidus, les digestats.
Comment faire ?
En les épandant dans les forêts et dans les champs… Et en persuadant le consommateur que c’est un bienfait pour l’agriculture.
La société forestière de Nézer a de jolis terrains sur le Bassin
L’épandage doit s’effectuer sur 101 parcelles, appartenant notamment à la société Nezer au Teich.
Un peu d’histoire : Entre 1766 et 1770, Mr Nezer, banquier suisse, investit lourdement pour planter plus de 1000 ha de pins dans la région, avant de se suicider, ruiné, car les habitants du captalat de Buch, s’y étaient opposés en défendant vigoureusement leurs droits d’usage et de pacage.
Son nom est néanmoins resté associé à une forêt au Teich et à un fossé de drainage : la craste de Nezer, dans la plaine de Cazaux.
La société n’est pas gérée par un petit sylviculteur du coin…
Au contraire : Au commandes, on trouva en 2005, Nicolas Seydoux (Fornier de Clausonne-pour les intimes, également propriétaires entre autres des cinémas Gaumont), et depuis 2006, la Caisse des Dépots et Consignations, établissement bancaire public spécial de l’Etat.
Pas franchement des philanthropes…
Le biogaz, et la méthanisation : c’est quoi, comment ça fonctionne, qui en produit ?
Voir l’article technique détaillé sur le site d’Engie
L’usine Suez de Saint Selve qui fabrique les digestats
Nos confrères d’Usine nouvelle expliquait en 2007 à la création de l’usine: « Ce site de 7 hectares permet de transformer tous les types de déchets issus de l’assainissement et des déchets verts en compost valorisable en agriculture et espaces verts.
Matières de vidanges, effluents viticoles, graisses alimentaires… l’usine reçoit toutes sortes de déchets liquides provenant à 80 % de Gironde. Ils sont ensuite déshydratés et centrifugés afin d’être compostés sur place.
Des 65 000 mètres cubes- qui seront traités annuellement en 2012, 7 000 tonnes de compost doivent être produits. Outre des engrais organiques, les déchets peuvent aussi être transformés en combustible pour la production de chaleur ».
Un géant de l’énergie aux commandes
Et c’est donc Suez Organic, spécialisée dans le secteur d’activité du traitement et élimination des déchets non dangereux qui va offrir à la forêt et à l’eau du Bassin déjà passablement polluée par les nitrates et autres pesticides, ce joli cadeau.
Une même présidente pour deux organes… complémentaires
Suez Organic (chiffre d’affaire de 70M €/an) et Engie-Suez Methabo développement sont présidés par une même personne, Anne-Valerie Goulard, ex chef de cabinet et épouse de François Goulard, énarque, ancien secrétaire d’Etat aux Transports, ancien ministre délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, et actuel président du Conseil départemental du Morbihan.
L’établissement de Saint Selve est juste un des 51 sites de la société en France. La maison mère est donc tenue par des haut-fonctionnaires connaissant parfaitement les rouages de l’Etat pour développer le chiffre d’affaire de leur société.
Des textes réglementaires bien ficelés… pour la filière d’exploitation
Et ce n’est sans doute pas un hasard si le très docile ministre de l’environnement F. De Rugy a annoncé en novembre dernier que le biogaz, pour être compétitif, serait moins taxé que le gaz naturel.
Une annonce très attendue et évidemment très appréciée par la filière.
D’autant qu’une autre nouveauté réglementaire, concomitante, contenue dans la loi sur l’alimentation les a comblé de joie : les digestats issus de la méthanisation ne sont plus considérés comme des déchets.
On peut donc les utiliser en agriculture (et sylviculture)
Deux mois pour déposer un recours
L’énergie verte a le vent en poupe. Et c’est tant mieux. Mais elle est aussi le faux nez d’une nouvelle industrialisation des déchets.
Et là, c’est Engie, un poids lourd du secteur, sûr de son bon droit et de ses appuis, qui a adressé la demande la Préfecture, qui l’a validée.
La loi prévoit néanmoins un délai de deux mois de recours de cette décision administrative. De quoi laisser le temps au géant de l’énergie de trouver les moyens d’amadouer les maires… ou pas.
A suivre…
Michel Lenoir
C’est gratuit