Contre-conte : Le divorce de Riquet à la Houppe (par C. Daney)
Le divorce de Riquet à la Houppe : Quand Charles Daney revisite les contes pour enfants…
C’est sûr, vous ne lirez plus les classiques de la même façon, après !
(La version originale de Charles Perrault « Riquet à la Houppe », ici)
Par Charles Daney, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Bassin d’Arcachon
6/05/18
Quand elle prit le dossier suivant, la juge des affaires matrimoniales ne s’attendait pas à trouver le nom de Riquet à la Houppe. Elle en connaissait bien l’histoire, sa grand mère la lui ayant raconté tant et tant de fois qu’elle l’avait classée sans suite et sans plus réfléchir comme la meilleure réussite de couple jamais réalisée.
Or ils étaient là tous deux à l’attendre dans le couloir. Elle en conçut une certaine émotion comme de se savoir très proche d’un acteur adoré. Elle se retint de courir demander un autographe et prit le temps de se pomponner, se donner un coup de peigne, de respirer un bon coup avant de crier à l’huissier, d’un air qu’elle voulait particulièrement détaché : «Affaire suivante!»
Dire qu’elle fut déçue de les voir apparaître en habit de ville, c’est une évidence. D’autant plus qu’elle avait préparé ses effets en plongeant le nez dans le dossier avant de relever la tête d’un coup en regardant droit devant elle.
C’étaient eux : Riquet à la Houppe, sans sa houppe et la Princesse maniérée et suffisante comme une petite bourgeoise. Ils étaient encadrés par leurs avocats.
La conciliation n’ayant pas donné les résultats qu’elle escomptait, la juge entreprit des les interroger l’un après l’autre.
Lui, d’abord, qui avait paru le plus conciliant.
– « Mon cher Riquet … Monsieur. Elle s’était reprise, se souvenant à temps que ce cher Riquet était en réalité un justiciable dont elle devait démêler la conduite passée. Monsieur, qu’est-ce qui vous amène ici?
– « Ma femme et moi, Madame le Juge, avons décidé de nous séparer pour incompatibilité d’humeur.»
Cela, elle l’avait lu dans le dossier mais il y avait entre les faits et le conte un tel hiatus qu’elle avait décidé de faire toute la lumière sur ce conflit avec plus de soins encore que pour un divorce ordinaire.
– «Cette incompatibilité d’humeur semble bien contradictoire avec votre mariage qui en son temps, dit-elle, si j’en crois le dossier, a fortement défrayé la chronique. Vous avez fait un mariage de raison, je crois.
– « Justement, Madame le Juge, dit Riquet qui, grand Prince, s’inclinait devant elle, justement, c’était un mariage de raison. Mais naturellement, je prends tous les torts à ma charge.»
C’était si contraire à ce qu’on lui disait habituellement qu’elle en restait interloquée et oubliait de saluer sa sortie.
– « La requérante, dit le Juge
– « Madame le Juge…» La Princesse s’avérait plus loquace que le Prince. L’interrogatoire allait durer toute la matinée.
– «Venons-en au fait. Votre mariage a fait la une des journaux en son temps. Rien n’était trop beau pour vous et, si j’en crois les témoignages, tous très favorables à votre époux, il a continué à mettre ses serviteurs et ses marmitons à votre service. Est-ce exact?
– « C’est vrai madame le Juge, Riquet a toujours assuré les dépenses courantes de la maison et…
– « La maison seulement? Lui reprochez-vous de ne point vous sortir? De lésiner sur vos dépenses personnelles? Vous reproche-t-il de n’avoir pas d’enfants? Si j’en juge par ce que dit Perrault, sa naissance, son esprit, son humour, ses manières vous agréaient et vous avez fini par le trouver beau, d’un air penché et charmant avec des yeux pleins de feu et un nez qui portait comme celui de Cyrano – je cite – «quelque chose de martial et d’héroïque».
– « Si fait, madame le juge. Et pourtant je suis malheureuse.
– « Quelle preuve en apportez-vous ou quel témoignage?
– « Aucun car personne ne peut vous dire ce que je lui reproche.
– « Mais encore?
– « La cruauté mentale, Madame le Juge. Une cruauté mentale caractérisée.
– « Une cruauté mentale caractérisée? » reprit le juge fort intéressée à ce détail qui n’était pas inscrit au répertoire des délits.
Elle s’attardait maintenant à ces raisons qu’on ne trouve en abondance que dans les magazines qui plaignent les pauvres stars séduites qu’elles soient abandonnées ou pas.
– « Non, Madame le Juge, ce n’est pas cela et c’est beaucoup plus que cela. Comment dire? J’étais belle, j’étais sotte, j’étais courtisée, on me disait mille sottises que j’écoutais avec ravissement. Je n’étais jamais seule. On me faisait faire toutes sortes de bêtises. Et qu’est-ce qu’il a fait de moi? Une femme intelligente dont on craint la répartie, une femme belle qu’on a peur de courtiser, une hôtesse que ne fréquentent plus que de vieux barbons empêtrés dans des raisonnements obtus. Et vous n’appelez pas ça de la cruauté mentale?»
La juge qui avait craint en sa qualité de féministe militante quelque “machisme” de son cher Riquet se prit à rêver aux mariages mentionnés dans Gala ou Point de vue où l’on se laisse prendre à la petite fleur bleue des Reines d’un jour. Personne ne vient vous dire comment ça se passe après ou bien vous l’apprenez par hasard, un jour de grisaille, dans une cour de justice perdue qui sent le camphre et la poussière.
Riquet et sa princesse n’avaient pas eu d’enfants mais une vie bien réglée qui faisait l’admiration de leurs sujets. Ce n’était pas assez pour la princesse qui trouvait un peu trop fanée sa petite fleur bleue. Elle ne pouvait plus supporter Riquet qui était trop sérieux, trop poli, trop attentionné. Alors, voilà, elle avait décidé de divorcer. Elle aurait voulu un grand mariage, un vrai mariage d’amour mais ce mariage arrangé, attendu si longtemps, si mesquin avec ses exercices d’intelligence appliquée, c’était d’un bourgeois!
– « Avez-vous trouvé le voyou gentilhomme dont vous rêviez, dit la juge qui sentait en elle percer une soixante-huitarde attardée.
Un moment interloquée la princesse répondit d’une voix glacée que non, qu’elle aurait bien voulu, qu’elle était prête à l’attendre le temps qu’il faudrait, qu’elle allait se faire visiteuse des prisons, etc.
Inquiète de la tournure des débats Madame le Juge aux affaires matrimoniales prit le temps de réfléchir en renvoyant l’affaire à huitaine.
“ Attendu que… Attendu que…. Madame la Juge aux affaires matrimoniales rêvait. Madame la Juge n’arrivait pas à formuler ses réquisitions. On la lui avait si souvent lue cette histoire de Riquet à la Houppe qu’elle avait pensé un moment se faire dessaisir de l’affaire.
Mais les autres aussi l’avaient lue autant qu’elle et c’eut été de la lâcheté de refuser aux héros de ses histoires de petite fille toute la justice qui leur était due.
Le Prince était charmant comme le sont tous les Princes mais en tant qu’homme, il n’était pas insensible au côté mutin et résolument féministe de la Princesse. Elle se disait qu’après tout ce n’est pas forcément l’Intelligence qu’elle répudiait mais qu’en fait elle reprochait à son mari de l’avoir rendue intelligente malgré elle – oubliant qu’elle avait été d’accord. Alors, Madame la Juge reprit toute l’affaire en essayant de ne pas trop penser à sa grand-mère qui lui racontait si bien toutes ces belles histoires qui firent autrefois l’édification morale de notre belle jeunesse.
Riquet était laid, c’est certain. Mais ce n’est pas là un cas de divorce.
D’autant plus que, bon Prince, il n’a jamais caché ses difformités. La princesse (que Perrault lui-même a voulu anonyme – par pudeur, sans doute ou par déontologie de conteur attentif à la vie privée de chacun) était belle mais sotte de naissance – pure affaire de famille, dit-on.
Compte tenu qu’elle avait connaissance de ce qu’était l’intelligence par sa sœur cadette qui était spirituelle, elle ne pouvait avoir été indignement abusée par les promesses du Prince.
Et puis, n’est-ce pas elle qui s’était enfuie dans les bois pour s’y plaindre de son malheur?
Le Prince était spirituel. C’est un fait. Mais c’était aussi ce que nous appelions au siècle dernier un gentleman – autant dire un dinosaure, espèce aujourd’hui disparue. Il lui avait laissé toute une année pour qu’elle puisse faire l’essai de son esprit. Elle éconduisit tellement de prétendants lors de cette année sabbatique qu’on la comparait depuis au héron de la fable.
Que pouvait-on reprocher au Prince? En droit rien. Mais dans les faits beaucoup de détails de leur vie conjugale donnaient à réfléchir à la jeune Juge. Jusqu’alors elle n’avait réagi qu’en petite fille à qui l’on conte des histoires. Pour être juge on n’en est pas moins femme.
«Attendu, dit-elle :
– que toute personne doit être acceptée pour ce qu’elle est,
– que changer la personnalité de quelqu’un pour son seul usage est un crime,
– que le Prince a toujours exigé d’être accepté par elle comme il était,
– qu’il n’a daigné fréquenter la Princesse que lorsqu’elle est devenue spirituelle
Nous, juge des affaires matrimoniales, décidons
– D’accorder à la Princesse les circonstances atténuantes non point en qualité de femme mais parce qu’étant sotte elle a cru astucieux de devenir intelligente.
et pour ce, condamnons le Sieur Riquet
à donner à celle qu’il abandonne à son destin un train de vie qui puisse compenser sa sottise, chose facile dans un de ces multiples milieux fréquentables qui ne jaugent l’intelligence qu’à l’ampleur de la fortune.»
Ayant rédigé ces attendus et satisfaite du devoir accompli, Madame la Juge aux affaires matrimoniales se prit à songer avec jubilation aux indemnités qu’allaient pouvoir réclamer – pour peu que la Cour de Cassation suive ses arrêts -tous les élèves de nos écoles qui se considèrent victimes d’acharnement illicite et de cruauté mentale de la part de leurs enseignants…
Prochaine contre-conte : Le Petit Poucet et le commissaire
(Conte original de Charles Perrault Le Petit Poucet, ici)
Charles Daney
(Illustration Copie écran internet)
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