Contre-conte : Le Petit chaperon rouge … chez le psychiatre
Le Petit chaperon rouge… chez le psy : Quand Charles Daney revisite Perrault…
C’est sûr, vous ne lirez plus les classiques de la même façon, après !
Par Charles Daney, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Bassin d’Arcachon
21/04/18
À peine eut-elle franchie la porte du célèbre Dr Bartock, psychiatre de son état, que le Petit Chaperon Rouge sentit que rien ne serait plus comme avant.
Il lui avait été imposé par le Commissariat qui reçut le dépôt de sa plainte, le lendemain même de l’affaire qui, depuis Perrault, défraye tellement la chronique.
En qualité de médecin, il devait aider à la restructurer mais en qualité d’expert il était surtout chargé du rapport destiné au juge qui instruisait l’affaire. Tout paraissait aller de soi excepté que la grand-mère avait succombé à une attaque cardiaque, ce qui est fort compréhensible à son âge après la série d’avatars qu’elle venait de subir à son propre domicile.
La famille, priée de suivre une thérapie de groupe, était désormais réduite à deux personnes, le Petit Chaperon Rouge étant issu d’une famille monoparentale. L’appui du père avait manqué à un moment crucial de sa jeune existence.
Après que le célèbre Dr Bartock eut prié la mère d’attendre quelques instants dans la salle destinée à cet effet – l’attente étant l’un des ressorts les plus apparents de la médecine -, il fit coucher la fillette sur un divan de son cabinet afin de l’interroger sur les événements survenus.
C’était le énième interrogatoire de l’enfant qui avait déjà subi ceux de la police, de la psychologue scolaire de son établissement et de la directrice dudit établissement qui avait jugé utile de lui faire animer un débat destiné à l’édification de ses camarades de classe.
– «Racontez-nous ce qui vous est arrivé».
L’entretien commençait de façon fort anodine. Le célèbre docteur avait mis discrètement en route le magnétophone qui restait branché en permanence sous le bureau tandis qu’il prenait des notes au-dessus.
Mise en confiance par tant de duperies cachées, le Petit Chaperon Rouge reprenait docilement le récit que tout le monde connaît par cœur depuis que Perrault en a transcrit l’essentiel.
– «J’allais chez ma grand-mère porter une galette et un petit pot de beurre», dit l’enfant qui arrêtait net son récit.
– «Votre mère n’aurait-elle pas pu y aller elle-même d’un coup de voiture?», dit le bon Docteur sur le ton onctueux qu’avait eu le loup chez Mère-grand.
Le Petit Chaperon Rouge, qui n’avait pas pensé à pareille éventualité, se dit in-petto que c’eût été la solution au problème et qu’elle aurait bien profité de l’absence de sa mère pour écouter son CD préféré à la maison.
Elle ne dit pourtant rien de peur de paraître une mauvaise fille aux yeux de celui qui la jugerait bien assez vite.
Interprétant son silence, le psychiatre, notait sans plus attendre : mère abusive utilisant sa fillette pour des courses connues comme dangereuses.
– «Pourquoi êtes-vous passée par la forêt?
– Parce que ma grand-mère habite la clairière de Bois-Joli»
Les évidences d’enfants ne sont pas forcément celles des adultes et le Dr Bartock, songeant au syndrome du sous-préfet aux champs notait la tendance rêveuse de la fillette.
Le magnétophone tournait toujours, enregistrant des silences plus longs et moins entrecoupés que les paroles.
Tous ceux qui ont pratiqué cette méthode savent d’ailleurs que le non-dit est autant, sinon plus important, que ce qui est dit.
– «Quand avez-vous rencontré le loup?
– Tout de suite après avoir quitté la maison.
– Et vous n’avez pas appelé votre mère?
– Il était si mignon »
C’est à cette remarque, qu’il n’attendait pas, que le célèbre psychiatre notait l’influence débilitante de la télévision et tout spécialement de ses séries animalières comme Flipper le Dauphin et Siméon l’Ours sur des âmes faibles non formées à l’image.
-«Il m’a demandé où j’allais, et où habitait ma grand-mère», dit-elle encore.
Le Petit Chaperon Rouge reprenait d’elle-même l’entretien. C’était bon signe, la preuve qu’elle avait dépassé l’état d’inhibition que semblait craindre par-dessus tout le psychiatre.
La preuve aussi qu’elle ne se laissait pas emporter par l’irrationnel qui l’eût amenée à s’enfuir, par exemple, ou à pratiquer sur le loup l’un des exercices de judo dont elle avait appris le secret au club local où l’avait inscrite sa mère.
– « Que lui avez-vous répondu?» reprit, sans s’étonner de ce dialogue hors nature, le bon Docteur qui ressemblait de plus en plus à un loup avec sa langue pendante, ses mâchoires saillantes et ses yeux exorbités.
– «La vérité» dit l’enfant, toute fière d’avoir bien retenu les leçons d’un catéchisme qui devrait la conduire sous peu à une communion solennelle fort édifiante.
Le stylo noircissait toujours le bloc-notes.
Un bon observateur, penché sur l’épaule du praticien aurait pu lire ces mots : enfant sans personnalité, trop encline à écouter naïvement le premier venu, ce que la psychiatrie définissait comme le syndrome de l’électeur sortant d’une réunion publique.
J’ai oublié de vous dire que le bon Docteur Bartock était un athée convaincu, sinon convaincant, de ceux qui ne croient ni à Dieu ni au Diable ni, à plus forte raison, aux contes de fée. Cela n’empêchait nullement le ton obséquieux, patelin, sucré, de son interrogatoire.
– « Votre grand-mère fermait-elle toujours la porte à la bobinette?
– « Elle préférait la chevillette à tous ces systèmes de sécurité moderne qu’elle trouvait trop sophistiqués» répondit l’enfant, heureuse d’avoir bien retenu les mots appris de la bouche du commissaire le jour même du dépôt de sa plainte.
Sécuritaire, notait encore le médecin.
_ «Ça ne vous a pas étonné qu’elle ne vienne pas vous ouvrir elle-même?
– « Bien sûr que non puisqu’elle était malade affirmait l’enfant avec l’aplomb que donnent les certitudes. Maman m’avait dit : “Va porter cette galette et ce pot de beurre à ta grand-mère qui est malade”
– « Vous êtes bien sûre qu’il s’agit d’une galette et d’un pot de beurre?» reprit le Dr Bartock sur ce ton doucereux qu’on prend pour parler aux enfants et aux malades mentaux. Il orientait l’interrogatoire vers d’autres voies qui devaient demeurer impénétrables à l’enfant.
Là, elle se cabrait. À son âge, on sait bien reconnaître une galette d’une pizza et un pot de beurre d’une sauce ketchup. Et puis sa maman n’était pas folle, qui savait par expérience qu’une pizza aurait ébranlé le dentier de la vieille dame.
– «Vous a-t-il touchée mon enfant?»
Comme elle s’étonnait de lui voir allonger vers elle sa mâchoire carnassière, le Petit Chaperon Rouge démentait vigoureusement quelque ambiguïté que ce soit dans le comportement du loup. Le psychiatre notait d’un même mouvement de stylo la naïveté congénitale de l’enfant – qui était extrême – et la préméditation du loup tandis qu’il cherchait toujours le mobile du guet-apens.
Le fait qu’il n’y eut rien de sexuel laissait le psychiatre perplexe.
C’était probablement un jeune loup plus préoccupé de sa drogue quotidienne que du plaisir immédiat – fût-ce celui qu’on prête à ses congénères dans ce refrain d’information qui vaut bien des publicités : «Fillette, fillette, prend bien garde au loup»
Le Petit Chaperon Rouge ne connaissait apparemment pas ce classique du folklore français. Elle ne prit pas garde au loup.
Ses tout premiers étonnements sont venus de la grand-mère.
Non pas du fait qu’elle n’était pas venue ouvrir la porte et qu’elle eût remonté le drap jusqu’aux yeux – ce qui l’étonnait peu, sa grand-mère appartenant à cette race d’antan qui cachait la maladie même et surtout aux médecins- mais de la transformation morphologique du visage aimé dont elle s’inquiétait :
– «Grand-mère, que vous avez de grands yeux.
– « C’est pour mieux te voir mon enfant
– « Grand-mère, que vous avez de grandes oreilles.
– « C’est pour mieux t’entendre.
– « Grand-mère, que vous avez de grandes dents
– « C’est pour mieux te….»
Elle n’avait jamais varié dans ses déclarations affirmant toujours qu’elle s’était couchée dans le lit sans penser à mal parce qu’elle croyait tout bonnement qu’il s’agissait de sa grand-mère.
Le Dr Bartock lui avait posé la question de toutes les façons possibles et il avait toujours obtenu les mêmes réponses.
– «Que s’est-il passé ensuite?
– « Je ne sais pas », dit le Petit Chaperon Rouge, « il faisait tout noir dans le ventre du loup et je ne me souviens plus de rien»
Oubli psychologique notait le psychiatre qui ne pouvait pas croire qu’elle n’eût conservé aucun souvenir d’une situation aussi scabreuse. Cette enfant se refuse à voir les réalités en face.
– «Et ensuite?
– « Ensuite », dit la petite fille, « je me souviens d’un grand monsieur avec une grande barbe et une grande hache toute rouge et grand-mère allongée dans l’herbe tout près. Le loup était à peine reconnaissable avec son grand ventre tout ouvert.»
Perte de mémoire, Identification fantaisiste. Le Psychiatre notait tout cela dans ce style haché, haletant, qu’il supposait au loup lorsqu’il reçut la fillette dans son lit.
– « Pourriez-vous reconnaître ce Monsieur?
– « Oh, oui, il m’a offert des bonbons.»
Je vous remercie dit alors le Dr Bartock en refermant son calepin d’un bruit sec. Il tenait d’autant plus son coupable qu’il se souvenait du syndrome de la forêt de Gâtine et que des vers chantaient dans sa mémoire : «Arrête bûcheron, arrête un peu le bras…»
Ce psychiatre étant expert auprès de la Cour ne pouvait traiter le Petit Chaperon Rouge.
Il la confiait ainsi que sa mère à un spécialiste de la psychologie familiale qui leur dit d’emblée que ce serait très long et très cher – le coût élevé des séances faisant partie du traitement.
Personne ne les avertit alors que l’obligation de résultat ne faisait pas partie d’un traitement qui dure encore aujourd’hui.
Sans plus s’occuper d’elle, le Dr Bartock peaufinait son rapport.
Il avait trouvé le sujet de sa prochaine communication à l’Académie locale des médecins et praticiens psychiatres et autres sciences exactes.
Cette séance préparatoire au grand colloque annuel de ladite Académie devait réunir des écologistes, la Société Protectrice des Animaux, l’Académie de chasse, qui avait un moment craint qu’il y eût un chasseur impliqué dans l’affaire mais que l’on avait fait encadrer par quelques lieutenants de louveterie, des représentants des familles, des féministes convaincues, choquées que le loup se fût une fois de plus attaqué à une fillette mais ravies de voir confirmées leurs thèses machistes, etc., etc.
Quelques jours après cette séance mémorable et le succès de la conférence qui confirmait la célébrité du bon Dr Bartock, on supprimait la corporation des bûcherons coupables de se conduire en tyrans dans les forêts qu’ils mettaient en coupe réglée et d’attaquer des animaux sauvages sans motif de la légitime défense.
En effet, quand il avait tué le loup celui-ci, repus, dormait en confiance dans un fourré.
On se contenterait désormais des bûcherons sous-payés des forêts lointaines où les loups élèvent les petits des hommes comme on l’a vu faire en l’Inde où le cas de Mowgli a fait école…
A suivre
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Charles Daney
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