Contre-conte : Le Petit Poucet … et le Commissaire (par C. Daney)
Le Petit Poucet et le Commissaire : Quand Charles Daney revisite les contes pour enfants…
C’est sûr, vous ne lirez plus les classiques de la même façon, après !
Par Charles Daney, secrétaire perpétuel de l’Académie du Bassin d’Arcachon
(La version originale de Charles Perrault « Le petit Poucet », ici)
Quand le Commissariat central prévint le bûcheron et la bûcheronne qu’ils eussent à venir chercher leurs sept enfants qu’on venait de trouver errant dans les rues de la ville, ce fut pour eux un grand soulagement.
Bien qu’ils fussent toujours au chômage depuis qu’on avait interdit le bûcheronnage suite aux mésaventures du Petit Chaperon Rouge, ils avaient de fortes raisons d’être optimistes.
Non seulement ils venaient de toucher un fort rappel des allocations familiales mais encore ils avaient en poche le billet gagnant du loto. Ils espéraient toucher sous peu une somme comme ils n’auraient jamais osé en rêver s’ils étaient restés dans leur cabane de la forêt.
Ils étaient passés à la télé et comme un bonheur n’arrive jamais seul leur médiatisation soudaine les fit désigner pour l’octroi d’un logement H.L.M. dans une cité de la proche banlieue.
Aussi les formalités furent-elles vite expédiées en dépit des quelques grammes de résine de cannabis trouvés dans les poche des aînés qui étaient jumeaux et allaient sur leurs dix ans.
Bien sûr que le Commissariat ne savait pas ce qui était arrivé aux sept filles de l’ogre. Autrement, on les aurait “cuisiné” plus longtemps. Je vois ça comme si j’y étais :
– «Ces filles les connaissiez-vous? Les avez-vous suivies chez elles? Comment se fait-il que les parents vous aient couché dans la même chambre que leurs filles? La mère et le père étaient-ils consentants? Exploitaient-ils leurs filles qui, d’après les différents conteurs, “promettaient beaucoup”?»
Enfin, toutes ces questions qu’on pose ordinairement dans un commissariat tout à fait ordinaire quand vous n’arrivez pas à sept (ce qui commence à être encombrant) et quand vous n’avez pas de parents qui ont eu la chance de passer à la télé la veille au soir.
On n’avait même pas demandé aux enfants si ce n’était pas ça qui les avait poussé à revenir si vite. Les raisons d’une fugue, ça n’intéresse personne.
Le malheur voulut qu’en arrivant au logis le bûcheron et la bûcheronne ne retrouvèrent que six enfants. Le Petit Poucet s’était perdu. Vous me direz qu’un garçon aussi débrouillard se perd difficilement même s’il n’y a pas de cailloux dans les commissariats centraux.
De plus, des bottes de sept lieux, ce n’est pas très pratique pour suivre les autres. On l’attendit longtemps.
Il fallut se rendre à l’évidence : le Petit Poucet avait bel et bien perdu le sens de l’orientation avant d’arriver dans ce bâtiment anonyme d’une banlieue anonyme où l’on perd si bien ses repères. Il fut inscrit au Commissariat au registre des recherches dans l’intérêt des familles.
L’intérêt des familles, on ne voyait pas très bien où il était, vu que les six enfants qui restaient au bûcheron au chômage formèrent vite une bande à eux tous seuls. Les parents qu’on allait bientôt trouver trop laxistes ne cherchaient pas à s’imposer à ces gamins qui en étaient à leur deuxième fugue collective et savaient depuis longtemps se débrouiller tout seuls dans ce monde où règne le chômage.
Ils avaient appris à se passer de travail, sinon d’argent.
Le Petit Poucet avait profité du grand chambardement des retrouvailles (c’était chaque fois la même chose ; il y était habitué) pour s’enfuir avec ses étranges bottes que les policiers, généralement prompts à vous débarrasser de chaussures et de ceintures auraient oublié de lui prendre.
Fier de sa débrouillardise, heureux de conserver ce témoignage d’une de ces aventures comme n’en connaissent plus guère de nos jours les gamins, le Petit Poucet avait décidé de vivre caché.
Les bottes de 7 lieues… pour livrer des pizzas !
Il craignait les policiers qui auraient fini par tomber sur l’affaire des filles de l’ogre, tuerie qu’on ne manquerait pas de lui impliquer.
Et puis, avec ces étranges bottes, il était à l’abri des besoins. Perrault nous dit qu’il se fit messager d’amour mais les Quand Charles Daney revisite les contes pour enfants…messages d’amour ne sont plus de mode depuis qu’on utilise couramment le téléphone ou les mails pour les rendez-vous et Interflora pour les remerciements. En fait il avait trouvé une place de livreur de pizzas.
Livrer des pizzas, c’est un de ces petits boulots adaptés à la vie moderne, un de ceux où pleuvent bien les pièces. Les adultes apprécient généralement que leurs enfants prennent la décision de vivre à hauts risques bien qu’il y ait la drogue, la prostitution, la pédophilie, tous ces dangers de la rue que notre jeunesse a pris l’habitude d’affronter.
Le premier soir, à deux pas d’un “squat” où l’ogre déjà cherchait chair fraîche, le Petit Poucet, qui était un gentil garçon de sept ans à peine pensait aux sept ogresses. Il s’accusait d’avoir subtilisé leurs couronnes d’or pour en couronner ses frères – ce qui avait trompé l’ogre.
Il les avait vu mourir à l’autre bout de la chambre sans un cri tant elles dormaient bien et aussi parce que leur ogre de père était expert dans l’art de l’égorgement.
Légitime défense
Il en avait bien du remords parce que la femme de l’ogre avait été gentille pour lui et ses frères mais c’était un peu de la légitime défense et il espérait pouvoir le prouver. Il ne pouvait imaginer que le Commissariat ne fut pas informé de ce crime et surtout il ignorait la grande loi du milieu des ogres qui veut qu’on lave son linge sale en famille.
Ainsi vivait le Petit Poucet, de façon précaire, au contact des dealers et des racketteurs qui lorgnaient ses belles bottes de sept lieues bien qu’elles fussent sans marque apparente.
Cet enfant des bois savait se garder depuis sa plus tendre enfance qui est bien avant l’âge de raison qu’il venait tout juste d’atteindre. Il fut bientôt le livreur le plus rapide et le plus populaire de la ville. On savait dans les cités H.L.M. qu’on peut faire fortune en ville en pratiquant toutes sortes de petits boulots non déclarés. Ils en conclurent que la richesse est dans les villes et non dans les banlieues et qu’une juste redistribution des richesses commençait par là.
Ils formaient, avons-nous dit, une bande de six à eux seuls et tandis que leurs parents dormaient ils partirent en catimini pour la ville voisine.
C’était l’heure du dernier métro, qui est comme chacun sait, l’heure du crime – et celle des enfants fugueurs de la nuit. À cette heure là on ne rencontre pas beaucoup de monde dans les rues. Ils y trouvèrent le Commissaire de leur quartier qui avait poussé – moitié par hasard et moitié par conscience professionnelle – jusqu’aux portes de la ville à l’instant précis où arrivait la petite bande.
Un commissaire…
C’était un de ces commissaires comme on en voit à la télé où les policiers, les médecins, les instituteurs, les assistantes sociales ont un cœur gros comme ça et tombent toujours sur des affaires pas possibles qu’ils dénouent en quatre-vingt dix minutes : pas une de plus, pas une de moins, juste le temps de l’émission. Il reconnut les six enfants du bûcheron.
– « Alors les enfants, le gros lot est mangé ? Et le petit frère, toujours dans la nature?
Ce qui prouve que le commissaire, bien renseigné par ses îlotiers était au courant des moindres habitudes de sa circonscription.
C’est à cet instant précis qu’un noceur attardé commanda une dernière pizza… et le Petit Poucet, passant là, reconnut ses frères. Mais pas le Commissaire. Autrement il ne se serait pas arrêté.
– « Bonjour, dit le Petit Poucet, que faites-vous là à cette heure?
– « Et toi, tu as retrouvé ton chemin, dit le Commissaire, sans se demander pourquoi un livreur connu comme le loup blanc dans toute la ville n’avait pas encore été retrouvé dans l’intérêt des familles. Je veux tous vous voir à dix heures demain matin au Commissariat.»
Interrogatoire
À dix heures le lendemain ils se retrouvaient dans la salle qui les avait déjà accueillis un mois auparavant. C’est là qu’ils achevèrent leurs effusions interrompues la veille par le Commissaire puis les policiers entreprirent de les interroger.
Le Commissaire avait gardé pour lui le Petit Poucet qui lui paraissait être le plus intéressant des sept. Il voulait savoir pourquoi il s’était évaporé dans la nature urbaine aussitôt retrouvé. Il le comprenait d’autant moins que c’est lui qui avait ramené la petite bande à ses parents.
Fatigué par son mois de galère et soucieux de ne rien cacher le Petit Poucet désirait avant tout se délivrer du lourd secret qui lui pesait. Il mit l’accent sur les sept filles de l’ogre, ce qui fit sursauter le Commissaire qui n’avait pas eu vent du crime. Il savait, bien sûr, qu’il y a des crimes qui ne sont jamais élucidés mais la police découvre généralement toujours les victimes sinon les assassins.
Même Interpol n’en avait pas fait état et le bon Commissaire en eut volontiers conclu que le Petit Poucet affabulait s’il n’y avait eu la preuve matérielle des bottes. C’est sur elles qu’il concentrait d’autant plus ses questions qu’il y avait là vol caractérisé et recel.
– « Était-il allé à Amsterdam avec ses bottes? Avait-il livré de la marchandise suspecte? Lui avait-on fait porter de l’argent sale dans une banque suisse ou Luxembourgeoise? Avait-il guidé des clandestins?» C’est fou comme la traversée des frontières intéresse la police depuis qu’on les a supprimées.
Mais non il était resté en ville avouant avoir eu beaucoup plus peur de l’ogre qui avait une vraie raison de le chercher que de la police.
Sans ses bottes l’ogre était devenu pratiquement inoffensif et méconnaissable. Il rôdait dans les quartiers perdus de la ville où il ne pouvait subsister que de mauvais coups.
Rassemblant l’équipe de nuit le Commissaire allait le cueillir dans le squat qu’il n’avait pratiquement plus quitté depuis qu’il y avait trouvé quelques paumés qui l’abreuvaient de drogues et d’alcool.
«Et d’une.» Les affaires du Commissaire étaient menées rondement. Restaient les cadavres. Ils les retrouvèrent le lendemain sur indication du Petit Poucet à sept lieues de là (un bond de botte) dans une forêt où n’allait plus personne depuis qu’il n’y avait plus de bûcheron. Le crime fut mis sur le compte d’un rôdeur et la femme de l’ogre menée à l’asile ou personne ne voulut jamais écouter ses histoires. Un avocat commis d’office avait plaidé la folie d’un mari sanguinaire et conclu que sa cliente en avait perdu la raison.
Restaient les bottes. Le sujet était scabreux. On avait connu bien des histoires de chaussures comme celles de Cendrillon mais de bottes magiques, jamais. L’affaire fut classée en raison de la rareté du fait, le commissaire ayant compris tout ce qu’il pouvait tirer d’un auxiliaire aussi précieux que le Petit Poucet.
Silence sur les bottes
On cherchait alors des emplois jeunes pour la police. Le Commissaire en trouvait un qui savait occuper le terrain et qui avait l’habitude des fugues. Il l’affecterait au service des recherches dans l’intérêt des familles qui souffrait d’un manque certain de résultats depuis que se multipliaient les fugues et les enlèvements d’enfants. On fit d’un commun accord le silence sur les bottes.
Quant aux frères qui allaient sur leurs neuf, dix et onze ans, ils furent reconduits à l’école et affectés comme “grands frères” au service de prévention des cars scolaires qui en avaient grand besoin. On dit que c’est depuis ce temps là qu’il n’y a plus ni graffitis sur les voitures, ni attaques de conducteurs – ce qui tendrait à prouver que ces affaires étaient liées…
Charles Daney
(Illustration Copie écran internet)
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