Le Bassin sous Louis XIV… Moeurs et coutumes ! (2/2)
Le Bassin d’avant, décrit par le géographe Claude Masse à la demande de Louis XIV (2/2)
8/07/18
Vous avez été nombreux à lire et avoir apprécié l’article publié le 1/07/18 dans nos colonnes, avec la complicité de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch. En voici la suite.
Ses membres discrets vulgarisent avec passion l’histoire du Bassin et du Pays de Buch, dans une revue régulière à laquelle vous pouvez vous abonner. Un retour aux racines, pour ne pas injurier l’avenir…
Michel Lenoir, Directeur de Publication
Un Mémoire unique
Le mémoire de l’ingénieur géographe Claude Masse, qui rapporte concrètement les observations faites en 1708 sur le terrain et qui a donné lieu aux relevés figurant sur le 6e quarré de la carte établie par Masse, débute par des observations générales.
L’auteur rappelle que « le rivage de la petite Mer est assez bien peuplé, et le terrain cultivé, surtout à l’Est et au Sud, où il y a cinq assez bonnes paroisses dont les habitants sont presque tous pêcheurs, ce qui leur donne leur revenu principal, les autres sont laboureurs, vignerons, bergers ou résiniers ».
En général, sauf à la mauvaise saison, « ils vont tous à la pêche, tant hommes que femmes et enfants et se mettent à 2 ou 3 dans des petits bateaux qu’ils appellent pinasses et qui mesurent 15 ou 16 pieds de long sur 4 à 5 de large.
Ils se laissent dériver avec le descendant de la mer et vont s’échouer sur les bancs de sable ou de vase qui sont très nombreux ».
La petite Mer est entrecoupée de grands chenaux et d’un très grand nombre de petits (esteys) par « où s’écoule presque toute l’eau et laisse à sec un grand espace de terrain vaseux, rempli d’herbe verte limoneuse sur lequel on amasse,à certaines saisons, une quantité prodigieuse d’huîtres et d’autres coquillages, surtout dans le temps des malines des marées d’équinoxe ».
Une avidité à ramasser les huitres très abondantes…
C’est à cette période que ceux qui habitent le long du rivage travaillent « avec grande avidité à ramasser les huîtres qui sont en certains endroits si épaisses qu’on les amasse avec autant de facilité que l’on fait le foin dans un pré où l’herbe est très abondante « .
Quand le temps n’est pas propice à la pêche des huîtres et que la mer ne baisse pas assez, ils pêchent du poisson dans les chenaux car presque toutes les espèces qui existent dans la Mer océane s’y trouvent.
Les femmes et enfants amassent du menu coquillage comme moules, sourdons (coques) ou pétoncles qui se trouvent sur les bancs qui découvrent presque toutes les marées, surtout vers les rivages du Septentrion (Nord) ».
Normalement, les huîtres sont très nombreuses autour de l’Isle de la Teste (Île aux Oiseaux) et sur les autres îles, au Nord et à l’Est.
Pêche miraculeuse et Gascons alertes…
Cette pêche est si abondante que parfois, on en achète une charretée pour un écu ou 4 francs.
Il n’y a presque point de jour où l’on ne voit un très grand nombre de chasse marées qui s’affairent avec la rapidité commune aux gens de cette profession, surtout aux Gascons qui sont plus alertes que tout autre, pour peu qu’il y ait du profit à espérer.
Ainsi quand les pinasses sont arrivées dans les ports, on voit partir à cheval, nombre d’hommes des bourgs et villages environ qui vont jour et nuit du côté de Bordeaux, même si le temps est rude.
Ceux qui portent le poisson des étangs d’eau douce ne sont pas autant en alerte.
500 hommes sur 250 bateaux
Autour de cette Mer, il y a dans les principaux ports, 20 grandes chaloupes qui vont, à la belle saison, pêcher à la grande Mer.
Les hommes ont construit, vers l’embouchure ou le goulet du havre d’Arcachon, des cabanes de roseaux où ils attendent le temps favorable pour sortir et passer la barre.
On compte autour de cette petite Mer près de 250 bateaux sur lesquels sont employés environ 500 hommes. Les habitants, tout le long de la côte sont aisés, grâce au revenu qu’ils retirent de la pêche, d’autres obtiennent de bons profits avec la vente des bestiaux.
Mesures avec graphomètre et règle rapporteur du pourtour du Bassin
Claude Masse passe alors en revue les bourgs et villages sur le pourtour du Bassin. Il estime la population de chaque lieu, au travers du nombre de « feux » et note les activités économiques principales pour chacun d’entre eux, en recensant les principaux métiers exercés :
– La Teste de Buch est le bourg principal, on y compte environ 200 feux, les maisons y sont pour la plupart en pierre et quelques-unes sont assez jolies. Il s’y trouve de bons marchands dont le principal négoce est le brai (poix), la résine et le goudron que l’on tire des bois de pin alentour et qui apportent un bon revenu.
Les environs sont bien cultivés, on y produit plus de vin que ce que les habitants peuvent consommer. Il n’y a que peu de blé, le sol sableux ne produisant que du seigle et du petit mil (millet) et très peu d’élevage.
– Gujan est une paroisse d’environ 180 feux, comportant 3 ou 4 bons villages, habités presqu’en totalité par des pêcheurs et par quelques vignerons et des bergers.
– Le Teuth (Le Teich) est une paroisse d’environ 60 feux qui appartient au baron d’Audinge(Audenge) ou de Ruart (Ruat) qui a un petit château assez joli. Ici les habitants nourrissent davantage de bestiaux. Le château de Certes a été autrefois un lieu considérable au temps des guerres civiles, où on a tenu garnison. Il est encore enceint de bons fossés, mais est à présent sans défense. Il appartient au marquis de Civrac.
– Lanton comporte environ 48 feux, la paroisse appartient au seigneur pré’-cité et les habitants sont des pêcheurs avec quelques laboureurs et bergers.
– Andernos, une paroisse d’environ 96 feux, avec les mêmes activités qu’à Lanton.
– Arez (Arès) qui fait partie d’Andernos est un bon village, les habitants y sont aisés et presque tous sont pêcheurs, laboureurs et bergers.
Quant à l’île de La Teste (Ile aux oiseaux), elle est inondée en partie aux grandes malines. Il n’y a que 2 cabanes où habitent des bergers et une fontaine d’eau douce.
L’île de Branne et celle de Bassalane ne sont pas habitées, on y élève pourtant des chevaux.
Enfin, on ne compte autour de la petite Mer que 12 moulins à vent et 7 moulins à eau, ce qui n’est pas beaucoup pour la population, mais ceux qui vont porter du poisson amènent, à leur retour, leur pain tout cuit de Bordeaux.
Encore un comportement étonnamment moderne, digne de notre société de consommation avec des échanges bien compris où l’intérêt est davantage dans le service rendu que dans le coût ou le prix de revient. Alors, on ne comprend pas bien le jugement final porté par Masse :
« Les peuples, le long des bords de la Mer d’Arcachon sont beaucoup plus rustiques que les Médocains et autres Gascons, et ont un patois plus rude et différent » !
Extrait du Bulletin de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch, n° 78 en date du 4e trimestre 1993, avec l’aimable coopération de Jean Marie Blondy.
IB Pratic : Rens et inscriptions 05 56 54 99 08 ou shaapb@orange.fr. Toutes les infos sur le site shaa.fr
Illustrations : copies écran, de haut en bas :
1/ Carte SHAA ©desaieuxetdeshommes.wordpress.com
2/Le premier graphomètre et sa règle rapporteur date de 1597, à l’époque d’Henri IV. Monté sur rotule, il permet de prendre des angles entre objets situés dans un même plan. Cet instrument de topographie a été utilisé jusqu’en 1760, donc par Claude Masse.
3/Portrait d’un géomètre-arpenteur de la période 1760 à 1809, tenant dans sa main droite, la chaîne d’arpentage et dans sa main gauche, une croix d’arpenteur emmanchée sur un pied (©glenac.blogspot.com)
C’est gratuit