Le Bassin jadis : Le petit train des dunes (2/2)
Le petit train des dunes (2/2)
par Jean Desrentes, de la SHAAPB
Le Bassin a son histoire. Et les membres de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du Pays de Buch (SHAAPB) la content fort bien. Ils éditent une revue régulière à laquelle vous pouvez vous abonner. C’est passionnant, et nous leur ouvrons nos colonnes…
Michel Lenoir, Directeur de Publication
(Si vous prenez le train en route… Voir notre précédent article « Le petit train des dunes 1/2″, ici)
Arriva rapidement une période où la main d’œuvre pour la manutention des bois se fit plus rare et plus onéreuse. Il faut dire qu’il n’y avait encore ni palan, ni à fortiori de grues.
Tout se manipulait ou se manutentionnait à épaule d’homme !
Il fallut donc réfléchir pour trouver une solution à cet important problème.
Celle-ci apparût dans la nécessité d’éviter une rupture de charge en supprimant purement et simplement les déchargements et rechargements à Jane de Boy.
La Vigne supplante Jane de Boy
Autrement dit, on devait charger les cargos directement à la sortie des wagonnets Decauville. Il fallait trouver un port en eau plus profonde. C’est le port de la Vigne qui fut choisi.
On construisit donc un nouveau tronçon de voie Decauville qui relia Claouey à la Vigne, où le port était plus propice à l’approche de gros bateaux.
On fit alors l’impasse sur Jane de Boy et les wagonnets chargés de bois, poteaux, sciages, résines, goudrons, charbons de bois etc…furent acheminés directement à la Vigne.
Ce ne fut pas aussi simple qu’on aurait pu l’imaginer et le relief du sol apporta sa part de difficultés. On ne pouvait pas couper en deux le domaine Lesca, ni le parc de la Villa Algérienne !
Il fallait donc grimper la dune du Canon et ce fut là un vrai problème. A l’origine, un train de wagonnets était tiré par une paire de bœufs ou une paire de mulets.
Le dilemme de la dune du Canon
On dut mettre à Piraillan un attelage relais, stationné en permanence, en attente des convois… pour les aider à monter la côte et franchir la dune. Dès que ceux-ci se présentaient, on doublait l’attelage et ensuite le renfort redescendait pour aider le convoi suivant. Mais le bouvier trouvait longues les attentes et les bœufs étaient trop lents au gré des mules.
On eut beau remplacer les bœufs par des mulets, cela n’apporta guère de changement. Entre temps, on avait motorisé certains tronçons et une petite locomotive à vapeur entraînait avec elle un convoi beaucoup plus important, jusqu’à 20 wagonnets.
Mais la dune du Canon était toujours aussi rude à gravir et la petite locomotive, pourtant gaillarde commençait à s’essouffler et un jour, à mi-côte, haletante, impuissante finit par s’arrêter, comme mortifiée…Que faire ? Fallait-il décrocher la moitié du convoi ?… et revenir chercher le reste ?
Impossible, c’était dangereux et le temps perdu était précieux. Le bateau attendait, il était nécessaire de le charger rapidement et il n’y avait pas de temps à perdre. Fort heureusement le petit train avait un chauffeur adroit et astucieux.
Un chauffeur sauveur
Il lança à sa machine : « Tu montes ou tu crèves ! » et assisté de ses deux serre-freins, il courut sous les pins de Piraillan où, à trois, ils remplirent chacun un grand panier de pignes et les déversèrent dans le foyer grand ouvert de la petite locomotive.
Cela eut pour effet de booster la machine. Aussitôt, cela déclencha une vapeur et une telle pression après ce coup de feu, que crachant feu, fumée et vapeur par tous les trous des soupapes de sécurité ouvertes… dans un énorme nuage de poussière, au milieu d’un feu d’artifice extraordinaire, on vit le convoi franchir l’obstacle dans l’allégresse et l’hilarité générales.
La solution avait été trouvée, la démonstration était faite. C’était la gloire assurée pour le chauffeur que les journaux de l’époque rendirent célèbre en associant dans leurs articles l’homme et la machine. Dans les dunes et forêts alentour quand on prononçait son nom, tout le monde était en admiration.
Cette population était nombreuse, car on avait dû faire appel à une main d’œuvre plus ou moins spécialisée qui venait de Saumos, de Sainte Hélène mais aussi de beaucoup plus loin, des Landes, du Massif Central ou des Pyrénées, par familles entières, avec attelages et bagages.
Le petit train bienfaiteur
Pour installer ces gens rapidement, on construisit des villages forestiers, sur les lieux de coupes, avec des cabanes en planches. Les ouvriers et leur famille se contentaient de ces conditions sommaires de logement et d’existence, satisfaits de pouvoir travailler pour subvenir aux besoins du ménage.
Le petit train prenait chaque jour une place de plus en plus importante dans la vie de toute cette population, car tout passait par lui.
Ainsi l’épicier, certains jours embarquait sa voiture à bras sur un wagonnet avec son bidon de pétrole ou sa caisse de bougies, ainsi qu’un baril de morues et de harengs et faisait la tournée des cabanes. Le samedi le boucher, de même, partait avec son lard salé, son saloir, ses boudins et son billot pour trancher les pot-au-feu et la daube pour le festin du dimanche…
On peut dire que le petit train avait à lui seul fait la conquête de la forêt dunaire ainsi que celle du cœur et de l’esprit de ses habitants. Il avait sans le savoir apporté une énorme contribution au bien-être (relatif) de toute une population laborieuse.
IB Pratic : Rens et inscriptions au 05 56 54 99 08 ou shaapb@orange.fr. Adhésion et/ou abonnement pour recevoir le Bulletin ici. Toutes les infos sur le site shaapb.fr
Extrait du Bulletin de la SHAA n° 93 en 1997. Illustrations SHAAPB.
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